DESCRIPTION
Auto-édition : Amazon
Genre : Romance lesbienne
Sous-genre : Dystopie
Format : Broché, Ebook
Nombre de mots : 66707
Niveau érotisme : Médium
Univers : Romance de Seconde Chance, Proximité Forcée, Mariage de Convenance, Système de Pouvoir Familial, Identité Cachée / Passé Troublé
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Synopsie
Marilou Chevalier aspire à une vie normale après des années de turbulences. Lors de son dernier stage, elle se retrouve sous la direction d’Inaya Akissi, son premier amour qu’elle n’a jamais oublié. Mais une tempête dévastatrice force les deux femmes à se confronter à des sentiments refoulés et à des secrets bien gardés. Alors que le passé refait surface et que les obstacles s’accumulent, elles doivent décider si elles sont prêtes à se donner une seconde chance, malgré tout ce qui les sépare.
Extrait
CHAPITRE 1
Marilou Chevalier
Je me demande si elle se souvient de moi ! En huit ans, elle m’a sûrement oubliée !
Je fermai les yeux en me pinçant les lèvres. Dans un tout petit coin de mon cerveau, j’espérais vraiment qu’elle avait conservé un souvenir de moi, de nous. Ces trois dernières semaines, je dormais peu, je passais mon temps à rechercher des articles la concernant. Malheureusement, je n’en trouvais aucun.
Rien du tout ! Frustrant !
Des rêves envahissaient mes nuits, peuplés d’une femme floutée à la peau d’ébène, une version idéalisée d’Inaya basée sur mes souvenirs d’adolescence. Étrangement, les films de notre future rencontre ne se finissaient jamais par un baiser passionné, bien que j’aie vainement tenté de faire comprendre à mon esprit que je ne serais pas contre un réconfort, même virtuel. Et ma foi, de terminer par une coquinerie solo, pourquoi pas ?
Je frottai mon front capuchonné, consciente qu’Emie, ma dernière ex-compagne parvenait toujours à semer le chaos dans mon esprit. Elle t’a vraiment foutue en l’air hein ? Dans ces moments-là, je m’efforçais de la chasser de mes pensées, je me répétais : Stop ! Pense à autre chose.
Et je rêvais à ma princesse noire aux yeux caramel qui s’extasiait sous ma langue audacieuse léchant l’un de ses tétons durcis par l’émotion. Un fantasme, rien de plus, un de plus.
— Madame ! Une collation ?
Je sursautai sur mon siège, prise au dépourvu d’avoir osé imaginer des scènes peu chastes avec mon premier amour. J’eus honte. Je bégayai et mes doigts tricotèrent à tout va, même si la serveuse ne pouvait deviner où mes pensées s’étaient fourvoyées.
— Non ! Je vous remercie. Dans combien de temps allons-nous arriver ? terminai-je par lui demander.
Je toussai puis souris et déglutis dans la foulée pour cacher mon embarras.
— Une heure, madame, peut-être une heure trente. Ne vous inquiétez pas, le capitaine vous préviendra en temps et en heure. Bonne fin de voyage.
Elle s’éloigna, parée de son plus beau sourire pour rassurer de ses mots attentionnés un client impatient. Quant à moi, qui espérais que cette traversée en dirigeable me permettrait d’arrêter de cogiter inutilement, c’était Loupé.
Nous étions le 19 décembre 2221 et voici sept heures que je scrutais l’horizon à travers mon hublot. Telle une petite fille qui vivait sa première expédition en ballon gonflable, excitée comme une puce. Ce voyage dans les airs me changeait de mes périples par les voies illégales.
Merci Caroline !
Mais… « Elle, ma perle noire » revenait toujours au galop dans mes pensées silencieuses. Au bout de plusieurs minutes, je réussis à me détendre. Les jambes croisées, mon pied droit ne cessait de danser sur ces chansons de Noël qui remplissaient notre compartiment de leurs mélodies envoûtantes. Assez étonnant d’ailleurs, cette fête disparaissait de nos mœurs.
Vous ne pouviez que sourire et imaginer le temps d’avant où la neige recouvrait nos terres de son innocence. Aujourd’hui, seuls les pays du nord peuvent encore s’enorgueillir de ce genre de joie, parfois. J’eus cette chance l’année dernière en fuyant les paparazzis. Je me revis, le visage tourné vers le ciel cotonneux pendant que les flocons fondaient au contact de mes joues. Cette fraîcheur représentait un bien inestimable de nos jours.
Les yeux dans le vague, la musique remplissait mon esprit de films sur mon avenir possible.
Je m’imaginais sur les terres mortes, entourée de la seule végétation capable de survivre sous les températures devenues infernales.
Un rêve que j’espérais réaliser avec des personnes innovatrices dont les ambitions écologiques s’approchaient des miennes. Mais que la société d’aujourd’hui ne soutenait pas, ou plus, pour de multiples raisons. La principale était financière. Et il était là le hic, si je désirais continuer de les aider à sortir de l’ombre, l’appui des banques me serait nécessaire. Et pour cela, je devais m’affranchir de ma famille ou me marier. J’avais les pieds et les mains liés.
Ma bouche forma un rictus pitoyable.
J’y crois pourtant !
Au moins, je ne pensais plus à elle. Ha mince ! Raté !
Ce film intime me revenait sans cesse. Ma première ex-petite amie rapprochant ses lèvres sensuelles pour capturer les miennes tremblantes me fit perdre toute contenance. Je craignis même que ma culotte en subisse les frais.
Par dépit, et surtout pour calmer mes ardeurs, je posai ma tête sur le hublot, mon front sentit la fraîcheur du dehors. Si je grimaçai à cette sensation, je l’oubliai vite devant ma contemplation. Nous étions sous une couche nuageuse éparse et vue d’en haut, la mer me semblait paisible, pas comme mon esprit où tourbillonnait une tonne de questions.
Ma mini tablette, posée sur les genoux, se mit à clignoter. Un appel de mon amie Caroline. Elle aussi y croyait à notre projet. Nous avions fait connaissance sur l’île Féroé, lors d’un stage pour mon pèlerinage. Disons que c’était la version officielle pour l’entreprise familiale.
Caro, cette ingénieure talentueuse, espérait contrôler la température d’une zone pour créer des microclimats et générer des cultures, peut-être y vivre, sait-on jamais…
Son image apparut sur l’écran, un joli brin de fille, cheveux blonds qui lui tombaient au ras des fesses, un minois à faire craquer un ange, des yeux bleus à se damner. Et pourtant, le célibat la poursuivait de ses faveurs, elle ne voyait que par son appareil qui pourrait changer la face du monde. J’allumai aussitôt mes écouteurs, j’eus la chance qu’elle soit douée en langue étrangère. Je crois qu’elle parlait trois ou quatre langues, je ne saurais dire.
— Caroline mon amie préférée !
— Marilou vieille branche ! Comment vas-tu ?
J’observai autour de moi en me grattant le nez. Elle toqua faussement sur son écran et imita un « toc toc » des plus douteux. J’en ris, cachée derrière ma main. Caro savait que le stress me menait.
— Marilou, il ne t’arrivera rien à Rosamaria. La famille Akissi ne supporte pas ce genre de parasite. Tu sais ce qu’il te reste à faire ? Ensuite, tu seras libre.
Elle connaissait si bien cette fille en permanence sur le qui-vive, et la joie de revoir Inaya ne changerait pas mon état habituel. Elle mit son bonnet de Noël tout usé sur la tête et recula du bureau pour saisir un dossier sur sa commode. J’étais en admiration, elle utilisait son fauteuil avec une incroyable dextérité. Elle roula vers moi en plaquant une feuille devant la webcam.
Sa deuxième passion, le dessin. Je me reconnus sous un soleil de plomb, une serviette sur le crâne, les joues rouges, avec un tee-shirt où il était écrit : « Fuck you, je suis libre ! »
Son image devint brouillée. L’île des Akissi se rapprochait et les systèmes de communication allaient être coupés.
— Caro ? Je perds le signal, je te recontacte, okay ? Caro ?
— Marilou, je t’ai envoyé un colis chez ta tutrice… Ina…….ssi.
Et la transmission se termina sur ma mine défaite !
Comment ? Qu’avait-elle fait ? Oh mon Dieu !
Un rire tonitruant me réveilla de mes réflexions. Du coin de l’œil, j’en cherchai la provenance et identifiai un groupe non loin de moi. Le plus vieux, la trentaine pas plus, regarda dans ma direction. Machinalement, je fixai le hublot et me calfeutrai davantage sous ma capuche.
Mon cœur battait trop vite, ma respiration s’accélérait. Je devais partir, tout de suite !
Ma tablette dans mon sac, mon sac sur le dos, je me dirigeai vers la sortie. J’étouffais ici, ils me regardaient, j’en étais certaine. Si on me reconnaissait, certains pourraient prévenir les paparazzis pour une petite somme d’argent bien rondelette.
J’essayai de calmer ma peur, de reprendre le contrôle de mon esprit qui s’égarait dans des idées complotistes à mon égard. Avant de monter à bord, j’avais vérifié qu’aucun journaliste ne faisait partie des voyageurs. Tant d’années à fuir m’avaient rendue paranoïaque. Raisonne-toi ! Je pris de grandes inspirations pour éviter que les douleurs au niveau des cervicales prennent le dessus. Je ralentis à quelques pas de la porte de notre cabine « voyageur ».
Nous étions combien à l’intérieur ? Une vingtaine à tout casser ? Au-dessus de nous, le capitaine pilotait les trois immenses ballons motorisés qui supportaient le compartiment et les clients. Une technologie incroyablement efficace permettant à un simple dirigeable de voler même au-dessus des nuages, là où la température était tellement plus agréable : froide, mais très appréciable. J’avais lu cela dans les journaux. Au fond, un bar rustique et derrière ce dernier, une cuisine aménagée, tous deux construits de manière minimaliste. Sur les côtés, près des hublots que tous souhaitaient accaparer, plusieurs bancs s’alignaient et au centre de la pièce, des tables pour se sustenter ou jouer. Malgré les courants d’air provenant de la porte qui s’ouvrait avec une régularité excessive, l’odeur de café embaumait les lieux. Mon estomac émit un gazouillis peu flatteur. J’aurais peut-être dû accepter l’offre de l’hôtesse, mon stress n’aurait pas pris le dessus.
Prendre l’air calmera mon anxiété.
Je passai devant une dame âgée habillée à la mode africaine. Je les trouvais splendides, ces femmes qui gardaient leur héritage vestimentaire. Oui ! Magnifique ! Surtout que sa robe d’un orange pastel mettait en valeur sa peau noire. J’adorais quand Inaya faisait de même pour me faire plaisir. Orange, ma couleur préférée.
Je me rendis d’une démarche crispée vers la porte au courant d’air. À peine s’ouvrit-elle, qu’une brise me souffla en plein visage. D’instinct, je le protégeai de mon bras puis la refermai derrière moi avec précaution.
Je boutonnai vivement mon blouson jusqu’au col. Je grelottais. Je me frottai les mains en marchant sur la coursive entourée par une sorte de grillage pour éviter les chutes. Rien à voir avec la vue des hublots qui nous occultaient l’immensité du ciel. Je restai époustouflée par ces nuages grisâtres qui ne présumaient rien de bon.
Ma peau frissonna quand l’air froid se faufila à l’intérieur de mon blouson. J’enfonçai instinctivement mon cou dans mes épaules pour garder un peu de ma chaleur corporelle. Que je me sentis bien, dans le ciel, loin des responsabilités, des obligations, de ces salopards qui me menaient la vie dure. Un moment de pure détente que j’affectionnais. J’inspirai un lent et grand bol d’air qui s’engouffra dans mes poumons et oxygéna chacune de mes cellules. Ce n’était pas vrai, mais j’aimais bien y croire. J’eus même l’impression que mes cheveux se mettaient au garde-à-vous à cause du froid.
Appuyée le long de la paroi, je restai bien une quinzaine de minutes à ne plus penser, à savourer l’instant. Le peu de voyageurs qui me croisa était tout aussi charmé de ce panorama. Là-haut, le mot liberté avait tout son sens. Une liberté quelque peu réfrigérante. La bouche cachée dans mon col, je sautillai d’un pied sur l’autre. Rêvasser à elle ne me réchauffait guère. Dommage !
Elle, elle, elle !
Mes épaules, mon cou se crispaient depuis que mes doigts touchaient le papier plié avec précaution dans ma poche. Mes poumons inspirèrent profondément et ce n’était pas pour mon bien-être. Je dirais par angoisse. Je n’avais nul besoin de le relire une énième fois, je connaissais chaque mot, chaque phrase de mon ordre de mission.
La société de mon père m’imposait d’être aspirante-gérante d’une affaire familiale d’accessoires écologiques évolutive. Une offre alléchante que j’avais refusée. Comme depuis le début de mon pèlerinage, j’avais toujours choisi les lieux où je désirais aller. Mon père et mon grand frère ne cherchaient pas à rectifier le tir. Un autre pèlerin aurait été mis au pas pour cette défiance. En même temps, qu’espéraient-ils ? Ils m’ont lâchée. Qu’ils aillent au diable.
Quand j’avais lu dans les journaux spécialisés qu’Inaya Akissi recherchait une gérante dans une de ses bâtisses d’écoconstruction sur l’île de Rosamaria, je n’avais pas hésité. Je souhaitais la revoir une dernière fois.
Or, ce n’était pas cette mission qui faisait trembler mes gambettes, me tiraillait le cœur ou qui sortait mes idées lubriques du fond de sa boîte à cadenas renforcée.
C’était elle !
Elle, ma future tutrice.
Inaya Akissi.
J’avais arrêté de respirer quand j’avais son nom. Depuis lors, elle devint une obsession permanente au point d’en rêver la nuit. Mon cœur s’accéléra rien que d’y repenser. Seulement, était-ce par peur de la revoir ou la frayeur qu’elle ne m’envoie balader ? Je me grattai le front puis murmurai pour moi-même : Attrape ton courage à deux mains et parle-lui ! Dis-lui que tu ne l’as jamais oubliée, cette fille à la peau d’ébène. Même huit ans après notre rencontre. Elle me…
« Messieurs, dames, préparez-vous à l’amarrage du dirigeable dans une trentaine de minutes. Vos pas vont fouler l’une des îles les plus boisées et fleuries de notre monde avec ses milliers de variétés de plantes et de fleurs n’existant que sur cette île. Elles embaumeront votre cœur de leurs fragrances et votre esprit de merveilleux souvenirs ».
J’écoutais d’une oreille discrète le discours du capitaine, je me reposais les mêmes questions : comment percevait-elle ma venue, allait-elle me faire vivre un enfer, me reconnaîtrait-elle ?
— Allez courage fillette ! Dans le pire des cas, que fera-t-elle ? T’obliger à nettoyer les latrines à la brosse à dents ?
J’en soupirai de bêtise.
— Pardon, madame, vous me parliez ? entendis-je tout près de moi.
Je me tournai vivement vers l’employé qui surveillait la coursive, l’air surpris à n’en pas douter.
— Non ! Je me parlais toute seule, clamai-je en rentrant ma tête dans les épaules soutenues d’un sourire embarrassé.
Le capitaine continua son allocution :
« Lorsque nous arriverons sur Rosamaria, vous serez pris en charge par les employés de la douane. Ils vous accompagneront dans la ville souterraine où vous séjournerez pour votre sécurité jusqu’à la fin de la tempête si vous le désirez. De mon avis de capitaine de bord, je vous encourage à suivre cette directive. Veuillez respecter les indications de nos hôtesses lors de votre descente. Le dirigeable repartira dans l’heure qui suivra pour rejoindre le continent avant l’arrivée de Telsa. À bientôt sur le Airline Dirigeable world. »
L’employé du dirigeable riait sans se moquer. C’était un bel homme, de belle prestance, la peau aussi noire que celle d’Inaya dans mes souvenirs. Je lui souris avec sincérité.
— Rapprochez-vous du bord, nous allons apercevoir Rosamaria et je vous promets que c’est un moment à ne pas rater. Les Akissi ont vraiment effectué un travail hors pair sur notre île. Et depuis que leur fille Inaya Akissi a repris plus ou moins les commandes sur l’île, Rosamaria est devenue une ville où il est plaisant de vivre. Les places sont chères.
La réputation d’Inaya traversait les mers. Je me sentais ridicule à côté d’elle. Perso, je ne terminerais officiellement mon pèlerinage que dans trois mois. Et à part m’être constitué des contacts d’experts et avoir essayé leur méthode pour fertiliser les sols morts, je n’avais rien accompli de majeur, ni trouvé d’idées novatrices aux yeux de notre société familiale. Mon frère, lors du sien, avait été bien plus coriace. En même temps, il savait qu’il reprendrait le leadership de l’entreprise quand notre père partirait à la retraite. Moi, je survis.
Puis…
Je m’en fous.
Je ferai tout mon possible pour que Caro trouve un associé digne de ce nom pour réaliser son rêve.
Je suivis le conseil de l’employé et zieutai en dessous de nous, l’île Rosamaria. Ma bouche sur le dessus de la main, elle-même agrippant le grillage, mes yeux subjugués gravaient ce moment dans ma mémoire. Et Inaya vivait là.
— Cette île n’était qu’un volcan éteint depuis des centaines d’années. Quand la famille Akissi décida de la valoriser, tous crièrent à la folie. Aujourd’hui, elle est devenue un exemple. La première ville s’est montée au bord de l’eau, ils créèrent des galeries souterraines pour protéger les citoyens des tempêtes récurrentes dans le secteur. Puis elle a grandi et suivi le flanc du volcan, apportant son lot de modifications environnementales. Dans le temps, on la nommait l’île émeraude des Antilles.
J’écoutais son histoire avec passion. Voilà ce que j’aimerais faire, prouver de quoi j’étais capable pour démontrer que notre belle terre pouvait guérir de notre idiotie. Rattraper nos erreurs.
— Ils habitent là ! montra-t-il avec son index.
Je me mis sur la pointe des pieds, comme si ce geste pouvait m’aider à mieux voir.
— Où ?
— Là ! Au plus proche du sommet, c’est le manoir des Akissi.
J’hésitai un moment, une question me tarabustait depuis que notre conversation tournait autour des Akissi.
— Dites ! balbutiai-je. Mademoiselle Inaya Akissi, elle est comment ?
— Elle est…
La porte du compartiment « voyageur » s’ouvrit brusquement sur l’un de ses collègues.
— James, le capitaine te demande !
— Veuillez m’excuser madame, vous allez aimer Rosamaria.
Et il fila. Et je n’eus pas la réponse tant espérée, je garderais donc la femme floutée de mes songes. J’enviais Inaya. En même temps, rien de surprenant, déjà à seize ans, elle savait ce qu’elle voulait.
Inaya Akissi
— Inaya ma chérie ! Il serait de bon augure que celle que tu as choisie ne vienne pas à votre fête. Volage comme elle est, elle te ferait honte.
Je l’écoutais d’une oreille peu attentive. Cette oreille connaissait son discours jusqu’au moindre changement de ton pour l’émouvoir.
— Je sais que tu as accepté cette prétendante comme femme pour me permettre de partir en retraite plus tôt et rejoindre ta mère. Je peux encore attendre quelques années ma chérie. Tu m’écoutes ?
Je soupirai devant le miroir de ma chambre où je mis délicatement mes cheveux en arrière. Parfait, fut le mot qui vint à mes lèvres habillées d’un rouge à lèvres un tantinet brillant pour les mettre en valeur. Je souris d’égo.
— Père, nous n’allons pas revenir sur le sujet une énième fois. Ma décision est prise, nous avons besoin de cette alliance pour mener mon projet de colonisation de l’ancienne Afrique du Nord. Et mère n’apprécierait pas que vous retardiez l’échéance.
Je passai mes mains sur le tissu de ma robe teintée d’orange, de jaune et de noir pour enlever des plis imaginaires. Mes pieds se placèrent dans leurs chaussures à talons qu’ils affectionnaient tout particulièrement. Elles me rehaussaient de cinq centimètres de courage.
Ces secondes qui s’égrenaient dans le silence furent pesantes. Quand j’entendis une sorte de petit claquement de dents dans le combiné de mon téléphone, je sus que la prochaine conversation s’annonçait.
— Es-tu sûre de vouloir prendre cette Chevalier comme stagiaire. Cette fille n’est pas une personne sur qui tu peux compter. Déjà à l’époque, elle nous présentait des idées abracadabrantes…
— Père, ne vous inquiétez pas, coupai-je vivement. Elle n’est ici que pour m’aider à entretenir la Villa, elle ne sera que ma concierge. Je suis d’ailleurs étonnée qu’elle ait postulé.
Mon index frottait le prénom et le nom de cette fameuse stagiaire inscrite sur son dossier, Marilou Chevalier. Je m’y attardai doucement en frôlant chaque lettre que comportait son patronyme. Puis mon doigt glissa dans ma boîte à bijoux en acajou pour choisir un bracelet. Nul besoin de chercher bien longtemps, celui orné de pierres du soleil égayera mon poignet de sa beauté. Je me regardai une dernière fois et j’aimai ce sourire que j’y vis, celui d’une femme impatiente de la revoir. Père reprit :
— Ce que je ne comprends pas d’ailleurs ! Possible que son père l’y ait contrainte. Dans cette famille, ceux qui pourraient prétendre à un poste important dans leur société sont dans l’obligation d’effectuer un pèlerinage de découverte du monde durant deux ans. Dans les associations et entreprises choisies par leurs soins. En retour, les pèlerins remettent un projet à leur supérieur afin qu’il soit officialisé. Si c’est le cas, il est embauché pour réaliser ce projet. Hum ! Envoyer sa fille subir un pèlerinage, je pense sincèrement qu’il l’a écartée pour qu’on l’oublie.
Je soupirai d’impatience. Notre rendez-vous était à 18 h, dans une demi-heure nous nous retrouverions après huit ans de séparation. Le combiné dans la main, je me baladai vers la salle de bain pour me parfumer de cette fragrance qui embaumerait ma peau et ma robe : Amour d’une rose.
— Inaya ? Es-tu là ?
— Oui père, je suis là ! Écoutez ! J’ai accepté qu’elle accomplisse son stage parmi nous, je ne vais pas revenir sur ma décision. Surtout pas à trente minutes de son arrivée.
Mes poumons exaltaient de cette odeur florale, j’en fermai les yeux de plaisir. Je me sentis prête. Puis, une image s’insinua dans mes pensées. Je me rappelai soudain les magazines et coupures de journaux étalés sur la table de mon salon.
— Père, je dois y aller, maintenant !
Mes talons talonnèrent mon parquet stratifié pour ramasser les preuves de mon obsession coupable depuis tant d’années. Le combiné posé sur le meuble, j’empilai les magazines parlant de Marilou Chevalier, tant sur ses péripéties durant son pèlerinage que son procès pour chantage sexuel sur sa partenaire de l’époque, Emie Shun. Un procès avorté en cours de route par l’argent des Chevalier à l’attention de la plaignante. Que cette femme, très belle femme d’ailleurs, accepta. Certains de ces articles la concernaient, une entrepreneuse efficace dans son domaine de prédilection, la gestion des patrimoines.
— Inaya, elle n’est pas pour toi !
Je ne saurais dire ce que ces mots me firent. Je crus avoir cessé de respirer à cet aveu soudain. Elle n’était pas pour moi ? Pourquoi me disait-il cette chose incongrue ?
— Ne soyez pas bête père ! Je cherche une concierge, pas une amante !
Par cette simple phrase, je perdis toute consistance, même si mes mots semblaient durs, je craignis que le ton de ma voix soit devenu tremblotant. Il en profitait pour enfoncer le clou dans ce cœur qui s’interdisait d’aimer en prononçant des vœux de mariage mensongers.
— Ce que tu as vécu avec elle est du passé. Ce n’est qu’un amour de jeunesse. Si elle avait voulu te revoir et envisager un avenir avec toi, cette Marilou Chevalier aurait repris contact depuis bien longtemps… Inaya…
Père, tout précautionneux, ne souhaitait pas me faire du mal, il savait que je tenais énormément à elle. Mais les protocoles sur les prétendantes étaient sévères et Marilou n’entrait pas dans le moule, si je pouvais m’exprimer ainsi. Je me retournai vivement et fis tomber ma pile de papiers par terre. Je les regardai s’étaler lamentablement sans essayer de les retenir. Je me frottai les lèvres et lui répondis :
— Vous l’avez dit vous-même père, nous étions jeunes. La question n’est pas là, elle n’est qu’une stagiaire.
Et je raccrochai sans attendre. La tempête s’annonçait, il était impératif, et de ma responsabilité de vérifier que mes locataires se préparaient pour partir aux abris souterrains. Je m’accroupis en plaçant ma robe derrière mes genoux et ramassai un à un les magazines. La photo la plus récente de Marilou remontait à cinq mois déjà. Les cheveux de la jeune femme étaient coupés à la garçonne, aucun sourire radieux sur son visage, aucun reflet de joie dans ses yeux accoutumés à rire, aucun… que dire ? Peu importe, après cette photo, les paparazzis ne volèrent que des clichés et la dénigrèrent à qui mieux mieux. Puis plus rien.
Pour éviter que Marilou ne puisse tomber sur ces compromettants indices, je les rangeai avec précaution dans le tiroir de ma commode. Je le refermai avec lenteur pour observer son visage avant de la plonger dans le noir. Avait-elle changé ? Autant que moi, je présumais.
Je retournai dans ma chambre pour enlever le bracelet et enfiler un tailleur avec un pantalon foncé, pincé, une chemise blanche cintrée cachant mon fessier et enfin un gilet sombre entourant mes hanches avec possessivité. Les cheveux furent cerclés d’un élastique, coiffés d’une queue de cheval. Un iceberg hautain, voici à quoi je me fis penser.
Que m’était-il passé par la tête pour me faire belle à l’attention d’une femme qui m’ignorait depuis huit longues années ? Je me frottai le front les yeux fermés. Inspirai profondément afin de calmer mon incroyable naïveté quant au fait que nous pourrions nous rapprocher. Père avait raison, elle ne représentait qu’un amour de jeunesse, un premier amour qui m’avait donné des ailes pour mieux me les arracher ensuite.
Il était temps de retourner à mon bureau. Dans vingt minutes, nous nous retrouverions pour le meilleur, ou le pire. Pourquoi pensai-je cela ?
Je franchis le seuil de mon appartement d’un pas décidé pour descendre les deux étages de ma villa. Les occupants s’affairaient à leurs préparatifs comme à leur habitude. Ce n’était point la première fois qu’ils exécutaient cet exercice, de nombreuses tempêtes bravaient Rosamaria régulièrement. Dans un sens, ces monstres de la nature faisaient partie de notre quotidien.
Au rez-de-chaussée, j’avançais avec calme vers mon bureau, en apparence. Je tirais en continu vers le bas mon gilet puis me frottai les mains systématiquement par la suite. Au moment d’ouvrir la porte, j’entendis l’une de mes locataires me crier :
— Madame Akissi, grand-mère ne veut pas entendre raison, elle est encore dehors à cueillir des roses au lieu de se préparer.
Je fermai les yeux et j’eus un soupir à peine voilé.
— J’ai un rendez-vous dans quelques minutes pour la stagiaire qui s’occupera de la villa. J’irai la chercher ensuite. Ne pourriez-vous pas réessayer ?
La jeune femme métissée d’une vingtaine d’années me fit la moue en croisant les bras.
— Ne le prenez pas mal, mais mon arrière-train n’apprécie pas trop de recevoir des coups de canne. Quand grand-mère a quelque chose dans la tête, elle ne l’a pas ailleurs, si vous voyez ce que je veux dire.
Je ne pus que rire. Grand-mère et ses facéties, elle avait une manière bien à elle de faire comprendre aux jeunes que personne ne la commandait. Au moins, cela eut le mérite de me détendre un peu.
— Soit ! Je vais m’en occuper après ! répondis-je d’un clin d’œil complice.
Malgré son sale caractère, tout le monde ici aimait leur grand-mère, bien qu’aucun d’eux ne soit de sa famille.
Bref ! Mon rendez-vous !
Une fois dans mon antre professionnel, je fermai la porte derrière moi en jaugeant la pendule où les aiguilles me montraient une verticalité parfaite. 18 heures tapantes. Elle sonna six fois avec une clarté mélodieuse que mon ouïe apprécia. D’où son achat.
J’avais failli être en retard à ce rendez-vous. Je me frottai le front et marchai vers la fenêtre afin d’y apercevoir, enfin je l’espérais, Marilou à la porte de ma villa. Personne. Puis mon stupide cœur s’accéléra, il crut apercevoir une silhouette dans la rue. J’en serrai le rideau de cette peur irraisonnée qui me prit soudain. Ce n’était pas elle. Après huit ans, je la reconnaîtrais tout de même. Certes, les photos des journaux à scandales aidaient.
La pendule sonna une deuxième fois dix-huit heures. Donc, 18 h 05.
En retard. Dans mes souvenirs, ce genre de chose était récurrent chez elle. Je chiffonnais le voile de ma fenêtre et retirai vivement mes doigts quand je m’en rendis compte. Me sentant idiote, je me mis à tirer sur mon gilet pour aplanir des mauvais plis inexistants. Encore !
18 h 17.
Au loin, au-dessus des toits des bâtiments d’en face, des nuages bien sombres s’annonçaient bien plus tôt que prévu. Et nous savions tous sur l’île que les tempêtes se déclaraient bien souvent avant les prévisions des météorologues. Attendre les dix prochaines minutes pouvait être décisif pour l’évacuation.
Tant pis, Marilou ! J’aurais aimé vous revoir. Le destin en décide autrement.
Je fermai mon bureau à clef et allai toquer à la porte de la mascotte de la villa, ma chère grand-mère. Pas de réponse et je n’en fus pas étonnée, aussi je me dirigeai dans le jardin pour la ramener à la raison. À chaque tempête, la même histoire se répétait.
Avant de passer par la sortie arrière, je jetai un dernier coup d’œil sur l’entrée. La sonnette resta muette. Pourquoi cette impatience de la revoir se mélangeait-elle à l’idée que c’était une erreur ? Pathétique !
Je descendis les deux marches menant au jardin. Il n’était point difficile de la retrouver, notre chère grand-mère. Devant les plants de rosiers, un chapeau de paille sur la tête et des ciseaux de jardinier à la main, elle s’évertuait à cueillir les plus beaux spécimens de rose.
— Grand-mère, il est temps de rentrer maintenant et vous préparer !
J’eus le droit à un grommellement en règle dont le ton ne présageait rien de bon. Les mains derrière le dos, je me postai juste à sa gauche avec un sourire qui se voulut…
— Range ce sourire niais petite-fille !
Je soupirai, prête à dégainer l’une de mes réparties favorites quand le bouquet de roses atterrit dans mes bras.
— C’est une grosse erreur petite-fille !
— Je le fais pour mes parents, mais surtout pour vous, vous le savez.
Elle coupa une tige d’une rose à peine éclose pour la rajouter à celles bien plus avancées que je tenais délicatement. Ses petits yeux me scrutèrent, j’eus la désagréable impression qu’elle sondait mon âme pour connaître la vérité sur mes intentions.
— Petite fille, tu te mens à toi-même ! Cette femme que tu veux comme épouse n’est pas une rose, mais une ronce à l’épine acérée. C’est ton égo qui a choisi pour toi et non ton cœur.
La rose en bouton eut le droit à une caresse tremblante, mais douce de grand-mère. Elle se rapprocha de moi, mit sa tête de côté et me murmura secrètement :
— C’est une rose qui n’attend qu’à s’épanouir dans tes bras dont tu as besoin. Et lui offrir tout ton amour, petite-fille !
Devant mon stoïcisme, elle eut un sourire taquin en se frottant les mains sur son tablier puis alla dans ses quartiers, du moins, je l’espérais.